Histoire de l'Abbaye de Foigny

Foigny, ancienne abbaye cistercienne, fondée en 1121 par S. Bernard au diocèse de Laon, dans une petite vallée de la Thièrache arrosée par le Ton .L'évêque de Laon Barthélemy de Jur, grand fondateur de monastères prémontrés et cisterciens, avait d'abord offert, en 1118, le domaine de Foigny à Saint. Norbert pour y fonder une abbaye. Mais celui-ci ne voulut pas s'y fixer et préféra s'établir non loin de Laon à Prémontré. L'évêque, proposa alors Foigny à Saint. Bernard, qui accepta. L'abbaye de Saint. Michel en Thièrache, de laquelle relevait le domaine, le céda à l'abbé de Clairvaux en 1121, et une colonie de moines, sous la conduite de l'abbé Rainaud, vint se fixer, cette même année, à Foigny, dans une petite île formée par un bras du Ton. Mais les fréquentes inondations les obligèrent à changer d'emplacement et à s'établir sur la rive droite de la rivière, à flanc de coteau. C'est là que fut construit le monastère.


Les travaux avancèrent rapidement, et Saint. Bernard put bientôt venir assister à la consécration de l'église, qui eut lieu le 11 nov. 1124. On lit dans la vie de Saint. Bernard que la veille de la fête fut marquée par un fait merveilleux. Les mouches se trouvaient en si grand nombre dans l'église que l'on craignit que leur bourdonnement incessant ne troublât la cérémonie du lendemain. Mais l'on ne savait pas comment s'en débarrasser. On fit appel au saint, qui eut l'idée de les excommunier. Le lendemain matin on trouva toutes les mouches mortes, et l'on n'eut que la peine de les ramasser à la pelle et de nettoyer le pavement.

L'évêque de Laon fit aux moines de nouvelles donations, imité en cela par les grands seigneurs de la région, parmi lesquels il faut citer Thomas de Marle, Enguerrand II de Coucy, Nicolas de Rumigny. A quoi il faut ajouter les abbayes bénédictines de Saint. Jean de Laon, de Fesmy et même de Saint. Martin de Tournai, qui consentirent à échanger des terres qu'elles avaient prés de Foigny, pour permettre à la nouvelle fondation de constituer son domaine. L'abbé Rainaud donna sa démission en 1131 et se retira à Clairvaux .Son successeur Goswin obtint du pape Innocent II une bulle de protection de l'abbaye et de confirmation de tous ses biens. Plusieurs granges, ou exploitations agricoles, se constituèrent à Landouzy-la-Cour, à Fligny, à Eparcy, à Watigny qui fut la plus importante et où les moines installèrent un moulin, deux forges et plus tard une brasserie et une verrerie. Les recrues vinrent en grand nombre et, en 1141, Goswin fut en mesure de fonder l'abbaye de Bohéries, non loin de Guise.

A cette époque, des contestations s'élevèrent entre l'abbaye et les prémontrés de Bucilly, près de Laon, au sujet de la grange d'Eparcy. Pour régler le différend, une réunion eut lieu à l'abbaye de Prémontré, à laquelle prirent part les abbés de Cîteaux et de Prémontré assistés de plusieurs abbés des deux ordres. En même temps, un accord fut conclue entre les deux parties fixant la distance que l'on devait observer entre les abbayes et les règles que l'on garderait pour le passage des religieux d'un ordre à l'autre. En 1150, l'évêque Barthélemy de Laon se retira à Foigny et y prit d'habit cistercien. C'est là qu'il mourut vers 1158 et qu'il fut enterré. L'abbé Robert (1148-69) fonda la ville de Landouzy de concert avec Raoul Ier, seigneur de Coucy, de Marle et de Vervins, qui était l'avoué ou protecteur, de l'abbaye.

L'abbé Anselme, successeur de Robert, se vit céder par Jacques, seigneur d'Avesnes et de Guise, le droit de pêche dans l'Oise pour toute sa terre de Guise. Il obtint aussi de Louis VII l'exemption de tout droit de transport, par terre et par eau.

A sa demande, le pape Alexandre III lui accorda la confirmation de tous les droits et privilèges de l'abbaye, par bulle du 26 avr. 1179. Semblables bulles furent encore données en faveur de l'abbaye par les papes Innocent III, Grégoire IX et Innocent IV. Vers 1180, sous l'abbatiat d'Odelin, un différend mit aux prises les moines de Foigny et les bénédictins de Saint.. Michel en Thiérache au sujet de la forêt de Watigny, qui appartenait à Foigny. Le pape Alexandre III confia l'affaire à cinq évêques assistés de seize abbés, bénédictins et cisterciens, qui donnèrent raison aux moines de Foigny. Le pape approuva leur décision le 8 mars 1181.

En 1232, le pape Grègoire IX chargea l'abbé Matthieu, de concert avec Jean, archidiacre de l'Eglise de Paris, et Robert, chanoine régulier de l'abbaye de Bourg-Moyen de Blois, de visiter et de réformer les monastères bénédictins des provinces de Reims et de Rouen. Après une visite de l'abbaye Saint.-Vaast d'Arras, Matthieu édicta toute une série de statuts qui nous ont été conservés. Sous son abbatiat, un frère convers nommé Alexandre  chargé de la garde des troupeaux, se distingua par sa sainteté. On le disait fils du roi d'Ecosse. Il se pourrait en effet qu'il ait été l'un des bâtards du roi Guillaume le Lion (1165-1214). Il mourut en odeur de sainteté le 4 mai 1229 et fut enterré dans le cimetière de l'abbaye. Plusieurs miracles s'étant accomplis à son tombeau, son culte se répandit dans le pays. Sa tombe, recouverte aujourd'hui d'un édicule, est toujours visitée par de nombreux pèlerins, ainsi qu'une fontaine toute proche, dite Fontaine du bienheureux Alexandre, où l'on vient de loin chercher de l'eau à laquelle on attribue des vertus curatives. De concert avec Thomas II, seigneur de Vervins, l'abbé Matthieu accorda, en 1243, une nouvelle charte communale à Landouzy, qui obtint ainsi les franchises municipales.

Le domaine de Foigny comprenait au XIIIéme s. un grand nombre de granges dans toute le Thiérache, où les moines installèrent des moulins, des tordoirs, des fourneaux. Aux granges déjà nommées il faut ajouter celles de Faucouzy, de Lemé, de Villancelle. L'abbaye en compta aussi dans le Laonnois : Evercaigne, avec vignes, prés et bois, le Cellier et Aransot. Toutes ces propriétés représentaient un total de 12 000 hectares, dans lesquels on comptait en tout : quatorze moulins à grain, un moulin à foulon, deux tordoirs, trois fourneaux, trois forges, une verrerie, une brasserie ; sans compter deux ardoisières, à Any et à Rimogne. A cela il faut ajouter les maisons que les moines avaient à Laon, à Vervins et à Montcornet. Ils se livraient à l'élevage des chevaux et des moutons. Dans beaucoup de leurs granges se trouvaient des étangs d'où ils tiraient quantité de poissons. Ils vendaient les produits de leur élevage et de leur culture dans les villes voisines, en Picardie, en Flandre et jusqu'à Anvers et à Gand. Tout cela supposait une organisation considérable de transports, pour lesquels ils possédaient des bateaux sur la Sambre et sur l'Escaut.

Le XIVéme et le XVéme s. furent marqués par des guerres continuelles avec la Flandre et, surtout, avec l'Angleterre. En 1302, après la bataille de Courtrai, les Flamands envahirent la Thiérache et ce furent des brigandages, des incendies et des meurtres sans fin. L'abbaye de Foigny fut occupée et mise à contribution. Par ailleurs, les subsides réclamés par Philippe le Bel ne l'épargnèrent pas non plus ; si bien qu'elle fut considérablement appauvrie. En 1339, ce fut le roi d'Angleterre Edouard III qui débarqua en France avec une armée de 40 000 hommes. A l'approche de l'ennemi, les moines quittèrent le monastère, qui fut pillé et ravagé. Puis ce fut la peste qui fit rage dans la contrée et n'épargna pas les religieux de Foigny. Après la bataille de Poitiers (1356), les bandes ennemies se répandirent en Picardie, où les troubles de la guerre civile vinrent s'ajouter encore. Et les domaines de l'abbaye furent ravagés. A la suite de toutes ces calamités, l'abbé Gobert de Wimy, élu en 1380, trouva une communauté fort relâchée ; et il s'efforça, au cours d'un abbatiat de trente six ans, de ramener l'ordre et la discipline, malgré les guerres qui n'avaient pas pris fin. Puis ce furent de nouveaux malheurs : la France livrée aux anglais, la guerre entre les Armagnacs et les Bourguignons, la Picardie occupée tour à tour par les parties adverses, l'abbaye livrée au pillage et incendiée.

La plupart des religieux se réfugièrent alors dans les villes voisines où l'abbaye avait des maisons. Ceux d'entre eux qui restèrent au monastère vécurent sans chef et sans règle. L'abbé Jean Desprez n'était pas fait pour ramener l'ordre. Le chapitre général de 1458 dut déléguer les abbés d'Ourscamp et de La Valroy pour faire la visite de Foigny et mettre fin aux abus .Et quelques années après, en 1465, Jean Desprez fut obligé de donner sa démission. Son successeur Louis de Bandouil (1465-93), s'efforça de rassembler les religieux dispersés et de rétablir la régularité dans la communauté. Il s'employa en même temps à restaurer et à rebâtir les bâtiments. La paix de Vervins signée en 1475 favorisa ses entreprises. Mais les religieux se trouvaient en trop petit nombre pour pouvoir exploiter leurs terres par eux-mêmes, et ils durent les affermer. En 1534, à la mort de Jean de Nieule, le dernier abbé régulier, la communauté ne comptait plus que vingt huit religieux.

Le premier abbé commendataire fut Robert de Coucy, archidiacre de Laon et Aumônier du roi François Ier. Il avait aussi en commende l'abbaye de Bohéries, filiale de Foigny, et celle de S. Michel-en -Thiérache. De nouveaux malheurs s'abattirent sur le pays. En 1542, les Impériaux envahirent la Thiérache. Les domaines de l'abbaye furent ravagés et les bâtiments pillés et incendiés. L'église seule fut épargnée. Comme les cultures étaient à l'abandon et que les moines ne faisaient rien pour les remettre en état, l'abbé Robert de Coucy répartit les terres entre plusieurs tenanciers, avec des baux emphytéotiques. Cependant l'abbaye se trouvait dans le plus grand dénuement. Pour payer les subsides imposés par le roi, les religieux furent obligés de vendre plusieurs de leurs terres. La décadence alla en s'accentuant au cours des guerres de religion, d'autant plus que le calvinisme fit son apparition dans le Laonnois. Les abbés commendataires vivaient loin de l'abbaye, et le nombre des religieux allait en diminuant : en 1562, ils n'étaient plus que douze. En 1598, la paix de Vervins mit fin aux guerres de religion, et la tranquillité revint dans le pays. L'abbé Claude de Neuville (1600-07) obtint du roi Henri IV des lettres de sauvegarde qui mettaient l'abbaye sous la protection royale.

En 1634, ce furent les Espagnols qui envahirent la Picardie, et la Thiérache fut encore dévastée. En 1643, le Grand Condé, qui n'était encore que duc d'Enghein, âgé de vingt deux ans, marcha avec son armée à la rencontre de l'ennemi. Il se rendit d'abord à Guise, puis vint loger à Foigny au commencement de mai. C'est là, qu'il apprit, le 10, que les Espagnols s'apprêtaient à mettre le siège devant Rocroi. Il partit aussitôt et remporta une éclatante victoire. Plusieurs fois à cette époque, l'abbaye eut encore à loger des troupes et payer de lourdes contributions.

Le nombre de religieux allait toujours en diminuant. En 1667, l'abbé de Clairvaux, Pierre Henri, faisant la visite régulière de l'abbaye, n'y trouva que huit religieux. Le prieur était alors Jean-Baptiste de Lancy. Excellent administrateur, il composa le cartulaire, rétablit le temporel et mit la bibliothèque en ordre. Il est surtout connu par l'histoire de l'abbaye qu'il a publiée. Avec les années de paix, la régularité fut rétablie peu à peu dans la communauté. Sous l'abbatiat d'Armand-Gaston de Rohan-Soubise, le prieur Thomas Huet exécuta, de 1722 à 1741, de grands travaux pour la reconstruction des bâtiments réguliers et l'embellissement de l'église, qui fut dotée d'un clocher sur la croisée et d'une nouvelle façade plaquée sur l'ancienne. Sous le dernier prieur, Bénigne Poisot, la discipline laissa de nouveau fort à désirer. Ce qui n'empêche que les moines se montrèrent toujours très charitables envers les pauvres.

La fin de l'Abbaye

Quand vint la Révolution, l'abbaye comptait onze religieux. La plupart d'entre eux rentrèrent dans leur famille. Plusieurs se marièrent. Mais il y en eut trois qui ne voulurent pas quitter le hameau de Foigny et qui y finirent leurs jours. En 1793, le monastère, fut transformé en hôpital militaire. Puis il fut vendu ; et tous les bâtiments y compris l'église, furent peu à peu démolis. Parmi les tombeaux qui se trouvaient dans l'église, il faut signaler celui de l'évêque Barthélémy. Son corps put être exhumé à temps et enterré dans la petite chapelle du bienheureux Alexandre, où l'on peut encore admirer sa belle pierre tombale. Dans le cloître, on voyait le tombeau de Raoul Ier, seigneur de Coucy et de Vervins, tué en 1191 sous les murs de Sain. Jean d'Acre. Dans le même caveau fut enterré son fils, Enguerrand III de Coucy, dit le Grand, qui construisit le fameux château dont le donjon était le plus grand d'Europe. En 1242, en franchissant le ruisseau du Vilpion prés de Gercy, son cheval fit un faux pas, son épée sortit du fourreau, et il tomba sur la pointe qui lui transperça le corps. On l'enterra à l'abbaye toute proche.

Du monastère il ne reste plus que quelques bâtiments du XVIIIéme s., qui servent d'habitation. Quant à l'église, il n'en reste qu'un massif de maçonnerie informe qui marque le coin de la nef et du croisillon nord. A l'emplacement de la croisée, une petite chapelle a été construite à la fin du XIXe s., dans laquelle on a rassemblé quelques souvenirs de l'abbaye. des fouilles exécutées en 1959 ont permis de mettre au jour les fondations d'une grande partie des murs de l'église, qui ne mesurait pas moins de 98m de long, avec un petit chevet carré de 10m de côté et un vaste transept de 50m de long sur 24 de large, sur lequel ouvraient trois chapelles dans chacun des croisillons. Les nombreuses pierres sculptées et les claveaux d'ogives découverts au cours des fouilles permettent de dater cet édifice entre 1150 et 1170. Il reproduit le plan dit bernardin, qui est celui de l'église de Clairvaux construite par S. Bernard enre 1135 et 1145.
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